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de Pornéïa à Agapé... les différentes formes d'amour par Jean Yves Leloup

ParFlorentine d’Aulnois-Wang
Publié le
coeur-mur

En français, le problème est que nous n’avons qu’un mot pour parler de l’amour. Nous aimons une femme comme nous aimons Dieu, les framboises, son cheval, son chien… En revanche, en grec, le premier mot pour parler de l’amour est le mot Pornéïa. Il s’agit de l’amour du bébé pour sa mère. C’est-à-dire qu’il la mange ! Ce qu’il aime c’est son lait, sa chaleur, l’objet maternant. Il est magnifique pour un enfant d’aimer de cette façon-là. Il faut voir comme il peut être goulu ! Mais c’est dommage lorsqu’il s’agit d’un homme de cinquante ans… Lorsqu’on sent que c’est un gros baigneur qui vous mange. Nous avons là un amour qui n’a pas évolué. Il existe encore de gros bébés à quarante, cinquante, soixante ans, qui n’ont pas fini de téter, qui n’ont pas fini de manger, qui n’ont pas fini de consommer le monde, de consommer les autres, de consommer le corps !
Après la Pornéïa, il y a Eros. C’est un très beau mot. Souvenons-nous que chez les Grecs, Eros est un dieu. Et nous, de ce dieu enfant et joueur, nous en avons fait un « vieux cochon » ! C’est regrettable, car ce dieu avait des ailes… Il est celui qui va donner des ailes à la Pornéïa, celui qui va mettre de l’intelligence dans la pulsion.
Qui va élever l’amour du bébé ?
Oui, l’élever, l’éveiller. Eros est l’amour de l’inférieur vers le supérieur, l’amour de la beauté. On le trouve chez Platon: « L’amour des beaux corps qui éveille l’amour des belles âmes. » Mais seulement s’il y a de l’Eros ! Car si l’amour des corps n’éveille pas l’amour des âmes, nous sommes encore dans la Pornéïa, dans la consommation.
Cependant, par l’Eros, tout d’un coup, dans l’étreinte des corps, dans l’attirance, dans la pulsion, naît aussi l’amour de l’autre, de sa beauté, amour qu’on ne peut pas avoir… qu’on ne peut pas consommer. Là, notre amour prend des ailes. C’est la totale dimension érotique. L’amour devient intelligent; nous ne sommes plus seulement des bêtes… nous sommes aussi des anges. Mais nous sommes tout de même toujours des bêtes !
Puis, après Eros, nous avons la Philia.
Encore un très beau mot, que l’on retrouve dans « philosophie ». Philia, Philéo, c’est: « je t’aime d’amitié ». Ce n’est pas l’amour de l’inférieur vers le supérieur, non plus que l’amour de celui qui manque vers celui qui a (souvenez-vous qu’Eros est fils de Pauvreté – le manque – et d’Habileté). Eros est à la fois plein de malice et plein de manque. L’amour érotique est très subtil, très malin, espiègle. C’est un lutin… mais en même temps, il y a du manque. Alors que la Philia, c’est aimer l’autre en tant qu’autre. C’est un amour d’échangés: je te donne et je reçois, je partage ce que je suis et je reçois ce que tu es. C’est l’amour humain proprement dit. Très peu d’êtres arrivent à s’aimer déjà de cette façon !
Lorsqu’on arrive à Eros, c’est déjà pas mal… Pourtant la Philia, l’amour de l’autre en tant qu’autre, aimer son ami…, c’est très beau, c’est l’échange, car l’autre est un autre moi-même.
Dans cet amour-là, il n’y a plus de manque ?
Oui et non. Il y a du partage, de l’échange. C’est l’amour des ego, où chacun est le soutien de l’autre, aide l’autre à aller vers le meilleur de lui-même, révèle à l’autre le meilleur de lui-même.
Maintenant, au-delà de la Philia, il y a l’Agapè.
Dans le vocabulaire grec, Agapè est un mot nouveau. Ce fut le christianisme qui amena la naissance de ce mot. Il naît un nouveau mot quand naît une nouvelle expérience. Ce fut l’expérience de l’amour gratuit, de l’amour pour rien !
Quand j’aime mon ami, j’attends au moins de lui qu’il m’écoute, qu’il me rende ce que je lui donne. Mais l’Agapè, lui, est un amour purement gratuit ! C’est surnaturel… Cet amour-là n’est pas de ce monde. Pour un psychanalyste, I’Agapè n’existe pas ! Pour lui, au plus haut niveau, n’existe que l’échange, et encore, il en doute souvent… Il pense que seul l’amour de désir peut exister. L’Agapè est impossible, parce que c’est la gratuité !
Parfois je donne l’exemple de l’amour d’une mère pour son enfant. Mais, finalement, je n’en suis même pas sûr… Une mère attend tellement d’être aimée… Nous produisons des « objets aimants ». Nous demandons à notre enfant l’amour qui nous a manqué. L’Agapè, lui, est véritablement un amour divin. Le signe pour savoir si on le vit, c’est d’aimer ses ennemis ! Etre capable d’aimer ceux qui ne nous aiment pas, d’aimer ceux qui nous méprisent. Là, nous touchons une réalité qui n’est pas de ce monde, nous touchons le divin en nous.

Il me semble que nous sommes appelés à cette divinisation. Mettre de l’Agapè dans l’enfant qui est en nous, qui veut consommer l’autre. Ne plus avoir peur de la pulsion, mais y mettre de l’Agapè. Mettre de l’Agapè dans l’Eros, mettre de l’Agapè dans la Philia… Et là, connaître l’amour gratuit !

Extrait d’une interview de Jean-Yves Leloup

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Florentine d’Aulnois-Wang

Psychothérapeute, auteure, conférencière et fondatrice de l’Intelligence Amoureuse©

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